Les perturbateurs endocriniens ont acquis un statut scientifique propre doté d’une stratégie nationale pour une meilleure prise en compte en santé publique. La France est le premier pays à s’être doté d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE 2014-2016) qui vise à réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens. Un second plan pour la période 2019-2022 a fait l’objet d’une une consultation nationale (Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens 2– SNPE2).  

On est d’emblée surpris par le rationnel de ce deuxième plan qui se réfère à un sondage des Français estimant que les risques liés aux perturbateurs endocriniens sont forts. Curieuse démarche scientifique qui occulte en grande partie l’incertitude qui domine largement les connaissances actuelles sur leur lien avec la santé humaine ! Cette dimension étiologique n’est malheureusement pas un axe fort de cette thématique dont le contour reste flou et qui a fait l’objet de plusieurs définitions successives intégrant non sans difficulté mécanismes endocriniens, modèles biologiques expérimentaux, toxicologie réglementaire et santé.  La recherche d’un mécanisme perturbateur endocrinien est au cœur de la définition actuelle1 et constitue un préalable à l’identification d’un risque chez l’homme. On peut s’interroger sur la pertinence de connaître à priori le mécanisme qui sous-tend une association potentielle entre une substance chimique et un évènement de santé. Cette démarche contribue en outre à la confusion actuelle du risque et du danger.

L’une des premières priorités de ce plan est d’informer et protéger la population. Pour louable qu’il soit, cet objectif semble quelque peu illusoire aux regards des connaissances actuelles bien fragmentaires. Une prévention efficace implique une bonne connaissance préalable des risques et des populations cibles. La prévention des maladies cardiovasculaires est devenue opérationnelle après l’établissement de fonctions de risque basées par exemple sur le dosage sanguin du cholestérol et la mesure de pression artérielle. De même, l’évaluation de biomarqueurs sanguins en vue d’établir des niveaux d’exposition aux perturbateurs endocriniens voire de définir des seuils de normalité n’a pas beaucoup de sens si ces mesures ne sont pas mises en relation avec des évènements de santé (troubles de la fertilité, cancer,..).     

Il est surprenant et regrettable que le développement de la recherche en santé n’apparaisse qu’à la fin des 13 mesures phares. Identifier les facteurs environnementaux  pouvant réellement impacter la santé humaine devrait être une priorité.  Force est de reconnaître que cette dimension essentielle fait cruellement défaut notamment dans la plupart des débats actuels sur le sujet qui souffrent de ce manque de données scientifiques. L’exemple des pesticides (dont certains sont des perturbateurs endocriniens) est particulièrement pertinent. L’absence de décision politique claire sur leur usage reflète en grande partie les incertitudes liées à sa nature cancérigène. On attend des réponses scientifiques à cette question plutôt qu’un imbroglio politique, médiatique et aujourd’hui judiciaire. Il est bon de rappeler que les avancées majeures en matière de risques sanitaires liés aux facteurs environnementaux viennent le plus souvent des grandes études américaines en population. Les travaux français restent souvent des extrapolations à la santé humaine de résultats établis à partir de modèles animaux. L’utilisation de cohortes adaptées aux problèmes posés est un impératif incontournable.

En bref, cette nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens énumère une suite de généralités sur la protection des individus face à l’environnement. Elle n’accorde pas à la recherche étiologique le rôle essentiel qu’elle doit jouer. Plutôt que de réduire les inquiétudes sociétales, elle contribue à les amplifier. On n’est pas convaincu de la légitimité d’une composante perturbateur endocrinien au sein de la thématique plus générale santé/environnement.  

  • « Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)- populations ». Organisation Mondiale de la Santé (OMS) 2002